mercredi 27 février 2008

Le prix de la musique

Le 10 octobre dernier, les membres de Radiohead publiaient, après quatre interminables années d'attente, leur septième album, sobrement intitulé "In Rainbows" en téléchargement sur la toile. La sortie en "dure" suivait un peu plus tard. Quelques groupes avant eux avaient déjà publié leurs albums de cette manière avant une sortie en magasin plus conventionnelle. Pourtant cette sortie a été une première.
Pourquoi?
Tout simplement parce que le groupe avait décidé de laisser l'auditeur (j'allai dire le consommateur...) choisir le montant à payer pour télécharger "l'objet". Et c'est là exactement que réside le coup de génie, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, le fait que Radiohead ne soit plus en contrat avec aucune maison de disques leur permet de diffuser leur musique comme bon leur semble. Au lieu de signer un autre contrat, ils sont allé voir ailleurs s'ils y étaient.
Ensuite, je ne peux m'empêcher de penser que les membres du groupe ont bien du se marrer en imaginant les gens bloqués devant leurs écrans à se torturer pour décider combien ils allaient payer. Je suis passé par là et c'est vraiment déroutant.
Mais la portée de cette action dépasse bien largement le pied de nez aux majors ou la blague aux internautes. Ce que fait Radiohead, c'est engager le débat sur le prix de la musique.

En ces temps d'avènement de la toile, le téléchargement, illégal ou pas, prend une place de plus importante, sinon dans l'économie, au moins dans notre rapport à la musique. La technologie a changé, nos modes de consommation aussi. L'invention du MP3 a sans doute été un événement majeur de ces 15 dernières années.
J'ai souvent lu ou entendu quelques commentaires sur la dématérialisation de la musique. On annonce que les albums tels qu'on les connaissait disparaissent. Les énormes vinyles, objets cultes et de culte, vecteurs par excellence de LA musique, la légendaire, celle qui donne des frissons rien qu'en tenant la pochette dans les mains, ces objets sont remplacés par des fichiers informatiques, sans âme, sans saveur, sans le petit plus que procure la possession de l'objet. La mort des albums signifie la mort de la musique. De plus, l'avènement du CD et du MP3 ont permis l'explosion de la musique dite "de merde" au détriment des vrais albums, chéris, travaillés, idolâtrés.

Cela me procure une gène certaine à chaque fois que je vois ou que j'entends ça.

Tout d'abord, la musique à utiliser aux toilettes existe depuis que la musique existe, ou plutôt, elle existe depuis que des petits malins ont compris l'argent qu'ils pouvaient se faire pas mal d'argent en produisant à la pelle des chansons vraiment sans âmes et en nous les vendant à tous prix, c'est à dire depuis bien avant qu'un ordinateur pût calculer la racine carrée de 4 en moins d'une journée. Ce n'est pas ceux qui ont leurs étagères remplis de tubes "Yé-Yé" qui me contrediront...
Ensuite la disparition annoncée des albums, c'est à dire des albums pensés, conçus et produits comme des entités, n'est à mon sens que poudre aux yeux. Je suis persuadé que tant qu'il y aura des gens pour écouter et apprécier des albums, il y aura des gens pour en faire. L'inverse est évidemment vrai, Radiohead fournit un bel exemple. Le remplacement de certains supports par d'autres ne change pas fondamentalement la façon dont la musique est écrite, c'est la manière dont la musique est distribuée qui est chamboulée. Faire l'amalgame entre les deux ne serait pas vraiment faire preuve de bon sens musical.
De plus, l'argument selon lequel les vinyles ont un meilleur son que le CD ou le MP3 me semble un peu capillo-tracté. Le CD confère une qualité supérieure tout en étant quasiment inusable. Quant au MP3, tout dépend de la qualité d'encodage. Les propriétés intrinsèques du MP3 ne peuvent pas être jugées tel quelles. La supériorité du vinyle relève, à ce niveau du moins, plus de la mythologie que d'autre chose.
Enfin, et c'est là le plus important, la dématérialisation de la musique n'est pas une mauvaise chose en soi. Car si l'on enlève d'un album la pochette, l'imagerie, l'histoire, le buzz et tout le reste, que reste-il ?
La musique, et uniquement la musique.
Un des avantages du téléchargement (autre qu'économique) est le fait que télécharger une chanson ne donne que la chanson. La musique seule est plus facile à écouter, à juger, à apprivoiser, à assimiler et à s'approprier. Quelques fois, le poids de l'objet est trop lourd pour la musique en elle même. Combien d'album que je n'aimait pas ai-je gardé juste parce qu'ils étaient (et sont toujours) légendaires ou cultes ou autre. Thom Yorke le disait à propos d'OK Computer, album culte parmi les albums cultes : "C'est juste du bruit".
Et c'est bien là la question essentielle que pose Radiohead : que vaut la musique ? Quel prix voulez-vous payer pour "du bruit" ? C'est véritablement réfléchir sur la musique que propose Radiohead, pas juste sur la distribution de la musique. Il est évident qu'un groupe comme Radiohead a l'auditoire et la notoriété pour que ce genre de chose "fasse du bruit". Ils ont eu néanmoins les tripes de faire un grand pas dans l'inconnu. Mais ce n'est pas comme si ce groupe nous avait habitué aux surprises...

D'ailleurs, rien n'empêche après coup de se procurer l'album. Mais sacraliser l'album en tant qu'objet sans considérer la musique ne met pas exactement la musique en valeur. Cela tendrait même à oublier la musique pour des choses sans vraiment d'importance.

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